Une Brève Histoire du Franc

LE PASSAGE DE LA LIVRE

TOURNOIS AU FRANC


Bien que le Franc soit presque la continuation de la Livre Tournois, de nombreux problèmes vont se poser pour effectuer cette transition qui sera étalée sur plus de 60 ans comme nous le verrons plus loin.

Nous examinerons successivement : la nouvelle dénomination, le système des équivalences avec ces incidences sur les comptabilités privées et publiques et le retrait de la circulation des anciennes monnaies royales.
 
 

LA NOUVELLE DENOMINATION

La loi du 18 Germinal An III (7 avril 1795) débaptise la Livre Tournois qui s’appellera désormais Franc. Elle confirme le système décimal. C’est toujours l’ancien système monétaire de la Livre Tournois, mais on veut faire table rase de tout ce qui rappelle l’ancien régime. La Livre Tournois rappelle trop la royauté. Remarquons que trois mois auparavant, la loi du 18 Nivose An III (7 janvier 1795) a déjà fait émettre les premiers assignats libellés en Francs

La loi du 28 Thermidor An III (15 août 1795) a donné à la France une nouvelle unité monétaire : le Franc . Les siècles précédents avaient connu la Livre Tournois comme unité de compte monétaire. Dans la langage courant les mots Livre et Franc étaient synonymes, Jean II le Bon ayant émis sa nouvelle monnaie, le Franc, pour la valeur d’une livre de 20 sous. Et les Francs qui seront émis par la suite auront toujours cette valeur de 20 sous (exception le Franc d’Argent de Henri IV valant 21 s. 4d.).

Malgré le décri général de tous les francs le 23 décembre 1641, par Louis XIII, le terme Franc reste vivace dans les esprits.

A quelques nuances près cependant, car on n’employait le mot Franc pour Livre ni au singulier ni avec les nombres primitifs 1.2.3.5, tandis qu’on s’en servait avec la plupart des autres nombres. Cependant, quand il s’agissait d’une somme brisée on revenait au mot Livre ( ex : Quatre Livres 10 sous).

Molière, Boileau dans leurs oeuvres emploient le mot Franc pour Livre, ainsi que Madame de Sévigné dans ses lettres à sa fille.

L’emploi du mot Franc pour Livre est un usage vieux de plusieurs siècles. On ne le supprimera pas si rapidement.
 
 

LES EQUIVALENCES

La loi du 25 Germinal An IV (14 avril 1796) va donner les équivalences Livre/Franc, soit 8 mois après la création du Franc.

Théoriquement, la Livre Tournois est représentée par 4,50516 grammes d’Argent, le Franc défini le 28 Th. An III par 4,50 grammes d’argent fin. La Livre Tournois serait donc légèrement supérieure au Franc.

Mais en fixant les équivalences Livre Tournois/Franc, la loi du 25 Germinal an IV décrète que la pièce de 5 francs sera donnée et reçue pour 5 livre Tournois - 1 sou 3 deniers, donc 1 Franc = 1 livre Tournois 3 deniers.

Ou en Livre décimale  1Fr = 1LT,0125

Ou encore , 1LT = 0Fr,98765 arrondi à 0Fr,99.

Le Franc est donc supérieur de 1.25 % de la Livre Tournois.

Comment est on arrivé à ce résultat ?

On s’est servi des bases suivantes pour déterminer les équivalences :

    le titre de l’argent fin employé pour la fabrication des écus était de 11 deniers 21 grains (il est rappelé que 12 deniers d’argent correspond à 958/1000 Argent le Roi)

    le remède de poids pour la fabrication de ces écus était de 10 grains

    l’usure des écus. Un échantillonnage important donna un poids de 4.40 grammes à 4.50 grammes par livre

    la valeur du marc d’argent monnayé.

En tenant compte de ces données, on établit que 5Fr = 5LT, 1 sou 3 deniers, 93/100 de denier. Cette dernière fraction bien qu’importante sera négligée pour simplification.

On trouve un enchaînement singulier entre la Livre Tournois et le Franc. Est ce un hasard ? Non.
 
 

" Lorsqu’on a voulu que l’unité monétaire réalisât la Livre Tournois, qui n’était qu’une monnaie de compte, on chercha dans les fractions décimales le poids qui se rapprochait le plus de cette unité et on trouva que 5 grammes d’argent à 900/1000 représentaient 20 sous ou la Livre Tournois + 3 deniers " Rapport de Thibaut en Conseil des Cinq Cents (10 mars 1796).

En fait, le Franc continue la Livre Tournois.

Si la Révolution Française a eu peu d’effet sur un sujet, c’est bien sur le système monétaire français sauf toutefois pour la dénomination de la monnaie.

Crétet, rapporteur de la loi du 25 Germinal An IV, indique que le Franc contient environ 1 centime d’argent de plus que la Livre (exactement 1.25 centime) et qu’il est ainsi nécessaire d’établir la compensation proposée jusqu'à la fonte des monnaies anciennes. Et faisant l’éloge du nouveau système monétaire, il ajoute pompeusement : "je puis vous le prédire, l’Europe sera forcée d’adopter ce système sublime puisée dans la nature. ".

Des tables de réductions ou barèmes furent établies pour faciliter les calculs.

Enfin, la loi des 16-17 Floréal An VII

Elle donne une liste des équivalences de toutes les anciennes monnaies du système de la Livre Tournois.

Loi importante, elle institue la primauté du Franc sur la Livre à dater du 1er Vendémiaire An VIII.

Les traitements des fonctionnaires, les impôts, transactions, les actes entre les particuliers doivent être exprimés en francs. Elle confirme le système décimal. Les sommes seront censées évaluées en francs, décimes et centimes quand bien même elles seraient énoncées en Livres sous deniers.

Cette loi parle déjà du nouveau Franc. En effet les anciens actes antérieurs à tous ces changements s’exprimaient parfois en francs, puisque dans l’Ancien Régime Franc était synonyme de Livre. Il ne fallait pas confondre ce " vieux Franc " qui n’ était que la Livre Tournois avec le " nouveau Franc " de Thermidor An III.

Tout sera donc réduit en Franc nouveau sur la base de 1 Fr = 1 LT 3 deniers ou 1LT, 0125.

Par contre, rentes et pensions seront réglées Franc pour Livre, avantage pour le crédirentier et effet de la " munificence nationale " (décret du 12 Vent. An VII - 02.03.99 -).

Dans les administrations publiques, les francs seront reçus pour leur valeur nominale et les anciennes monnaies ne le seront que pour leur rapport Franc/Livre Tournois.

On a renversé le principe de la primauté de la Livre Tournois. Maintenant, il faut évaluer les monnaies royales en francs et centimes.

Mais en cette fin du 18ème siècle et début du 19ème, les évènements politiques se précipitent. Les armées de la République sont victorieuses et le Premier Consul rebâtit la société. Avril 1803, la Banque de France devient l’institut d’émission priviligié. Ce même mois voit la confirmation du Franc que l’on appellera Franc Germinal.

Le Franc Germinal : la loi des 7-17 Germinal An XI (28 mars - 7 avril 1803) définit le Franc par 5 grammes d’argent à 900/1000, continuant ainsi la loi d’Août 1795. L’argent seul semblerait donc constituer l’unité monétaire. Allons-nous vers le monométallisme d’Argent ? Les années précédentes, il avait été demandé que l’argent soit le seul étalon monétaire, les monnaies d’or auraient une valeur flottante variant suivant le cours du métal ! !... Mirabeau avait déjà été un ardent défenseur du monométallisme argent.

Finalement, ces propositions ne seront pas retenues et la loi de Germinal An XI ordonnera la frappe de monnaies de 20 F et 40 F en or au titre de 9/10 de fin. Les pièces de 20 F seront taillées à raison de 155 pièces au kilogramme de 9/100 reprenant ainsi le rapport Au/Ag de 15 ½ qui était celui de la réforme de Calonne en 1785.

Pour le grand public (dans l’opinion courante) Bonaparte à crée le Franc dit Franc Germinal. Mais en réalité il n’a fait que reprendre une législation existante (Thermidor An III et Edits de 1726).

La loi de Germinal An XI a ajouté les frappes en Or des pièces de 20 F et 40 F. Avec l’ordre, le métal précieux s’était remis en circulation.

Plutôt que de dire Franc Germinal, il eût été plus logique de l’appeler Franc Thermidor ou Franc de Marly !....
 
 

LE RETRAIT DES ANCIENNES MONNAIES

Les monnaies de l’Ancien Régime resteront longtemps en circulation. Les espèces d’or et d’argent ont une valeur intrinsèque réelle. Les mentalités de l’époque ne sont pas celles d’aujourd’hui. Les bouleversements apportés par la Révolution ont rendu les gens méfiants. D’autre part, les procédés de fabrication des monnaies ne permettent pas une frappe rapide et abondante comme de nos jours.

Un arrêté du 2 Fructidor An Iv (19 Août 1796) décide que les pièces de billon de Louis XV et des règnes antérieurs doivent circuler pour 2 sous (10 centimes) mais en pratique le public ne les accepte que pour 1 sou ½.

La loi du 14 Germinal An XI (4 avril 1803) fera reprendre au poids les monnaies rognées ou altérées.

L’arrêté du 17 Prairial An XI (6 juin 1803) publie un tarif de deux pages pour la reprise destinée à la refonte des monnaies d’or et d’argent de tous les pays d’Europe et de presque tous les pays d’Asie. De quoi faire rêver les collectionneurs d’aujourd’hui.

L’arrêté du 6 Fructidor An XI (24 Août 1803) détermine le sort des petites monnaies d’argent usées. S’il n’y a plus de traces de leur empreinte elles seront reprises au poids. Les pièces 3 L, 24 sous, 12 sous et 6 sous conservant des traces d’empreintes continueront d’être reçues et données en paiement.

Le décret impérial du 13 août 1804, dit que les pièces de 3 L, 24 sous, 12 sous et 6 sous, ne seront admises que si elles conservent une empreinte suffisante pour les identifier et si elles sont de 1726 et années postérieures.

Le décret impérial du 12 septembre 1810 fixe l’équivalence des anciennes pièces suivantes :
 
48 L (or)  à reprendre pour  47,20 F
24 L (or)  à reprendre pour  23,55 F
6 L (argent)  à reprendre pour  5,80 F
3 L (argent)  à reprendre pour  2,75 F

 

Ces pièces pourront aussi à la volonté des porteurs être reprises au poids, au tarif suivant :

3 094,43 Frcs le kg pour l’Or

198,30 Frcs le kg pour l’Argent

Curieusement dans les départements de Bretagne et de Normandie, les vieilles monnaies royales et ce jusqu’au début de 19ème siècle seront reçues par les particuliers à un taux supérieur au taux légal. La coutume est restée plus forte que la loi.

Sous Louis Philippe et Napoléon III, sera entreprise une refonte générale des monnaies de cuivre de Louis XV et Louis XVI. Cette refonte ne sera terminée qu’en 1859.

Enfin, les monnaies du système de la Livre resteront en circulation jusqu’au
 
31 Décembre 1834
pour les
48 L - 24 L - 12 L Or

6 L - 3 L - 24 - 12 - 6 sous Argent

31 Décembre 1835
pour les 
6 Liards
31 Août 1846
pour les
15 sols et 30 sols constitutionnels
1er Juillet 1856
pour les
1 et 2 Liards
1et Octobre 1856
pour les
1 et 2 sous

 

Il aura fallu plus de 60 ans pour faire disparaître les dernières monnaies de l’Ancien Régime. Dans le langage courant, le terme liard restera en usage jusqu'à la 1ère guerre mondiale et on s’exprimera en sous jusqu’au début de la seconde guerre mondiale.
 
 

LE METAL MONETAIRE

Pour toutes les nouvelles émissions monétaires on va avoir besoin de métal. Où le trouver ?

Dés 1789, la monnaie d’Or et d’Argent se raréfie. En 1794, elle est presque totalement disparue. Les causes, on les connaît : la vielle loi de Gresham (la mauvaise monnaie chasse la bonne) les émigrés sortis de France avec leurs métaux précieux ; les guerres qui coûtent très cher.

Il va falloir récupérer du métal de toutes les façons possibles.

L’exportation d’Or et d’Argent est interdite, des contrôles aux frontières sont établis.

Mais une autre " récupération " va bientôt se faire plus importante encore, par les guerres.

Fin Septembre 1794, un nombre important de matières d’Or et d’Argent arrive à Paris. Il s’agit des contributions levées en Belgique au total 13.359.000 Livres.

A partir de 1796, l’Or et l’Argent reviennent.

De l’extérieur, par les guerres en Italie. Bonaparte impose de lourds tributs aux vaincus, au Duc de Parme 2 millions, au Duc de Modène 7 millions et demi. Fin mai 1796, les pays conquis ont envoyé plus de 45 millions.

De l’intérieur, le coup d’Etat du 18 Brumaire a rétabli l’ordre et la confiance, les citoyens remettent en circulation écus et louis.

Pour se faire une idée du pillage réalisé à l’étranger par les guerres, il faut savoir que sur 1.169 millions de pièces d’Or et d’Argent frappées entre 1803 et 1812 ; 690 millions provenaient de l’étranger.

Et le bronze et le cuivre ?

Ils seront indispensables pour émettre la petite monnaie qui est nécessaire aux régions pauvres, au menu peuple. La petite monnaie évite la cherté des denrées.

En France, sur 50.000 paroisses, 30.000 ont été supprimées. Les cloches " inutiles " des édifices religieux de France sont estimées à 180 millions de Livres au poids.

On hésite entre les vendre aux enchères ou en faire des monnaies.

Talleyrand propose la vente des cloches des établissements ecclésiastiques. Mirabeau pense de même.

D’autres sont partisans d’en faire des monnaies. Mais le métal de cloche est dur et cassant, il ne se prête pas à la fabrication des monnaies. On essaiera vainement d’extraire le cuivre de ce métal de cloche par différents procédés chimiques qui se révéleront coûteux et inefficaces.

Le décret du 25 juin1791 prévoit la fabrication de monnaies moulées.

Finalement, ce métal de cloche devient utilisable en y ajoutant une quantité égale de cuivre pur (Décret du 3 Août 1791).

Pour trouver ce cuivre on réquisitionne les vases, meubles et ustensiles des églises et établissements religieux.

Fin février 1792, il a été fabriqué pour 5.960.000 livres de monnaies en métal de cloche.

Enfin, par le décret du 26 avril 1793, il est mis fin aux discussions et hésitations sur l’emploi de ce métal. On s’en tient à l’alliage de cuivre et à la frappe classique des monnaies.

Mais en 1793 le bronze va avoir une autre utilisation : la fabrication des canons.

Notons que les petites monnaies de cuivre circuleront longtemps, jusqu’au Second Empire.

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