J.Verhasselt. 1997

Billets de nécessité dans les territoires occupés par l'armée allemande

durant la guerre de 1914-1918

Application de la convention de La Haye de 1907

 

Chapitre I Début de la guerre avant l'arrivée des Allemands.

Commençons par rappeler la chronologie des événements qui ont amenés la disparition de la monnaie métallique et des petites coupures, les faits de guerre engendrent la thésaurisation,la circulation de la monnaie s'arrête,les activités commerciales quotidiennes deviennent difficiles pour la population.

28 Juin 1914: Suite à l'assassinat de l'Achiduc héritier du trône d'Autriche,à   Sarajevo l'Autriche envoie un ultimatum à la Serbie le 23 Juillet

Malgré la réponse de la Serbie,l'Autriche déclare la guerre le 28 Juillet.

1 Août: C'est la mobilisation générale en France.

3 Août La guerre mondiale commence,elle durera 4 ans.

 

La Monnaie.

31 Juillet A Lille, à la Banque de France, c'est l'affolement, les commerçants refusent les billets de 50 et 100 francs, le Directeur de la Banque dit qu'il n'y a aucun danger, que l'encaisse métallique n'a jamais été aussi importante "Pour 6 milliards en billets, nous avons plus de 4 milliards en espèces sans compter le portefeuille se montant à 1,5 milliard et les avances à 730 millions.Il faut que le public sache qu'à la succursale de Lille il y a:1,2 million de monnaie divisionnaire,des écus à guichet ouvert.On ne refuse pas de donner de l'or, mais seulement pour 10% des retraits".Pendant ce temps,les épargnants viennent retirer leur dépôt à la caisse d'épargne,en essayant d'avoir de l'or et de refuser les billets de banque.Simultanément, la Banque de Ftance met en service des billets de 20 et de 50 francs, l'inquiétude de la population augmente,car il y a deux types:premièrement,des billets émis pendant la guerre de 1870 avec au verso trois personnages,couleur bleu verdâtre et des billets neufs semblables, mais sans les trois personnages, couleur bleu outremer.

Le même jour, la Banque nationale de Belgique fait frapper 20 millions de francs de monnaie d'or.

4 Août   Le Ministre des Finances décide: tous les déposants ou créditeurs,dont le dépôt est inférieur à 250 francs auront le droit d'effectuer le retrait intégral,au delà seulement 5% du dépôt,sauf pour le paiement des salaires.

6 Août   Le gouverneur de la Banque de France demande d'arrêter la distribution de monnaie.

7 Août   La Chambre de commerce de Lille décide de créer une banque d'émission de petites coupures.Le Président E.Faucheur propose de former une commission de dix membres afin d'établir une société anonyme qui émettrait de la monnaie.

Le Président rappelle le fonctionnement de la banque d'émission créée en 1870 et qui avait émis 13 millions de bons de dix,de cinq et de un francs.*

La commission élit son bureau présidé par M.Duhem et va,accompagnée de M.Faucheur,à la Préfecture faire part au Préfet de son initiative,demande son approbation et son appui pour l'éxonération du timbre des billets.

8 Août   M.Faucheur envoie la lettre suivante au Préfet:

Monsieur le Préfet,

L'extrême rareté de la monnaie divisionnaire est, vous ne l'ignorez pas, devenue dans les circonstances présentes la cause d'une gêne intolérable pour les transactions de notre cité.

Sous la pression de l'impérieuse nécessité d'apporter un remède à cette situation, notre chambre a décidé de provoquer la constitution d'une Société pour l'émission de coupures de deux francs et au-dessous.

J'ai l'honneur de vous soumettre les statuts de cette Société qui a été calquée sur celle qui a fonctionné,d'une manière si heureuse pour notre région en 1870 et de solliciter de votre obligeance, de bien vouloir nous donner votre approbation dans le délai le plus bref possible et nous faire obtenir l'exonération des droits de timbre pour ces billets.

Je ne doute pas M. le Préfet,que vous ne fassiez toute confiance aux hommes,qui ont bien voulu se dévouer à cette oeuvre de grande nécessité publique.

L'expérience enseigne que l'émission de 1870 s'est élevée jusqu'à neuf millions de francs,mais comme elle comprenait des coupures de cinq et dix francs,il apparait que celle pour laquelle nous sollicitons l'autorisation restera plus modeste.Veuillez ...

E.Faucheur.

Le 8 Août chez Maître Tamboise se réunissent les fondateurs qui adoptent les statuts avec un capital de cent mille francs. Le Directeur de l'Enregistrement déclare qu'aucun des inspecteurs ne réclamera de timbre.

L'approbation préfectorale fut plus difficile à obtenir,le Préfet jugea utile de consulter Paris et le gouvernement.Le 15 Août le journal officiel publia la lettre du Ministre au Président de la chambre de commerce de Paris,qui tout en reconnaissant la grande utilité de l'émission de petites coupures pour remplacer la monnaie divisionnaire,ne croyait pas devoir lui accorder l'autorisation officielle,mais approuvait pleinement le projet de la Chambre de commerce de Paris.

Le Préfet ayant sa responsabilité à couvert,donna son approbation et le 19 Août les premiers billets furent mis en circulation.

Ville de Lille.

Le 24 Août  Le Conseil municipal décide d'emprunter sans limitation:soit à la Banque de France,soit à tout autre établissement de crédit,soit à des particuliers,au taux fixé pour les avances de la Banque de France.

Le 31 Août   Il sera émis au fur et à mesure des besoins: 1 million de billets de 5 francs. 2 millions de billets de 10 francs.

au total 25 millions d'émission sont pris en charge par le receveur municipal.L'opération est garantie par la ville.Il faut donner les pouvoirs utiles pour faire l'opération et voter éventuellement les centimes nécessaires au remboursement de l'emprunt. Les frais d'émission représentent 75 mille francs.

Le 7 Septembre  Arrêté du Préfet,

Par suite de l'état de guerre, la ville de Lille peut se trouver sans communication avec les services du Trésor et de la Banque de France.

Article 1 _ Le Maire de Lille est invité à faire payer à titre d'avance au moyen de bons communaux émis en vertu de la délibération du Conseil Municipal du 31 Août,approuvé par nous le même jour,toutes les dépenses d'assistance à la charge de l'Etat et du Département.

Article 2 _ Les avances faites par la ville de Lille,lui seront remboursées par l'Etat et le Département en ce qui la concerne,à la cessation des hostilités.Les collectivités intéressées rembourseront également à la ville de Lille,les frais de service.

Article 3 _ Le Maire de Lille est invité à faire l'avance lorsque les communes limitrophes de Lille ne seront pas en état de le faire elles-mêmes.

F.Trepont.

Le 3 Octobre le Préfet demande au Maire d'aider les communes rurales qui ont épuisé leurs fonds. Ces communes,par manque de crédit, ne peuvent créer d'émissions de bons communaux.

Le 15 Octobre M.C.Delesalle souscrit de grand coeur à la demande du Préfet. Il y aura juste à payer les frais d'émission, soit 2%.

 

Ville de Roubaix.

2 Septembre  Le Maire M.J.B.Lebas déclare:

Nous pouvons être coupés d'un moment à l'autre, des services du Trésor et de la Banque de France.A cet effet, avec la ville de Tourcoing nous allons faire des émissions de billets de monnaie, au fur et à mesure de nos besoins jusqu'à concurrence de 20 millions en billets de 1-5 et 10 francs.

Ces billets seront pris en charge par les receveurs municipaux des deux villes à raison de 60% pour Roubaix et 40% pour Tourcoing. La première mise en circulation le Samedi 29 sera comprise dans ce total, pour une somme de 504.000 francs.L'opération est garantie par l'engagement d'un emprunt.

Ce papier monnaie sera employé comme change,contre remise de billets de banque ou effets de commerce ou obligations dont la valeur sera appréciée dans chaque ville par un comité d'escompte composé de trois représentants des principales banques régionales. Ils agiront en leur nom personnel.

En plus des 504.000 francs déjà émis, on crée: 1.000.000 de billets de 10 francs, 2.000.000 de billets de 5 francs, 2.000.000 de billets de 1 franc.

Ville de Tourcoing.

27 Août _ Le Maire M.G.Dron demande au conseil l'autorisation de signer le contrat suivant:

Diverses personnalités de Roubaix et de Tourcoing se préoccupant de la situation que la fermeture des banques allait faire aux industriels et aux commerçants pour le paiement des salaires de leurs ouvriers,se sont concertés à l'effet d'aviser au moyen de parer,au moins provisoirement,à cette difficulté.

Les chambres de commerce de Roubaix et de Tourcoing avaient élaboré un projet de création de papier monnaie qu'elles se sont déclarées dans l'impossibilité matérielle,faute de temps,et par suite de la fermeture de la Banque de France,de mettre actuellement à exécution.

M.Lebas agissant en sa qualité de Maire de Roubaix et M.Dron agissant en sa qualité de Maire de Tourcoing,ont reconnu la nécessité de créer,sous la garantie des deux villes,un bon de monnaie qui permettra,à défaut de numéraire ou de billet de banque de payer les salaires aux ouvriers.

En conséquence il est intervenu entre les deux villes la convention suivante. Il sera crée immédiatement des bons de monnaie libellés comme suit:

Villes de Roubaix et de Tourcoing

Bon de monnaie

Série: 1 franc ou 5 francs

Garanti par les villes de Roubaix et de Tourcoing,  Août 1914, Signature des deux Maires

Une première série de 500.000 francs sera tirée immédiatement en bons de 1 franc et de 5 francs, savoir: 300.000 bons de 1 franc, 40.000 bons de 5 francs

Les frais ou bénéfices de cette émission,comme ceux des émissions successives qui pourraient être faites,seront réparties entre Roubaix et Tourcoing proportionnellement au principal des patentes de chacune des deux villes,année 1913. Les bons de monnaie porteront la signature des deux Maires et leur remboursement sera formellement garanti,sous réserve du recours contre qui de droit.

L'échange des bons contre numéraire, billets de banque ou effet de commerce négociables sera assuré par un comité.Les Messieurs du comité apprécieront,en bons pères de famille, les effets de commerce qui leur seront présentés pour être échangés contre des bons de monnaie,ils les accepteront ou les refuseront suivant qu'ils le jugeront utile,il est bien entendu qu'ils agiront à cet égard à titre personnel, sans engager leurs banques respectives.

Les membres du comité d'escompte de chaque ville sont dégagés par les deux villes de toutr responsabilité,quelle qu'elle soit, concernant le concours obligeant qu'ils veulent bien prêter.

Par conséquent s'ils étaient victimes de vols, pillages,  réquisitions ou même d'erreurs d'appréciation des valeurs négociables reçues, en échange des bons de paiement, les villes, seules, en supporteraient les conséquences par rectification de ce qui précéde, la première émission,par suite des nécessités matérielles du tirage,s'est portée à 504.000 francs,soit un supplément de 4.000 francs en coupures de un franc qui sont attribuées à la ville de Tourcoing.

1er Septembre _ Le Maire de Tourcoing annonce déjà l'émission d'une deuxième série de 5 millions de billets dont 3 millions pour Roubaix et 2 millions pour Tourcoing:

1 million de billets de 10 francs

2 millions de billets de 5 francs

2 millions de billets de 1 franc

Le Maire demande les pouvoirs pour faire l'opération et de voter éventuellement les centimes nécessaires au remboursement de l'emprunt,qui sera contracté,il propose:

L'opération d'aujourd'hui est d'une envergure plus grande, c'est une véritable émission de papier monnaie destinée à suppléer la monnaie légale qui a presque complétement disparu de la circulation.

les premiers bons avaient été fabriqués et lancés en 36 heures,les circonstances commandaient l'urgence.Nous avons du agir vite.

La fabrication des bons n'en a pas souffert, et les dispositions ont été arrêtées d'un commun accord, entre l'imprimeur graveur et les Administrations des deux villes, pour éviter les imitations.

L'opération qui vous est proposée aujourd'hui a pu être étudiée avec plus de soin et de nombreuses mesures vont être prises pour éviter tout danger de contrefaçon et permettre au public de reconnaître aisément la valeur des billets par leur seul aspect.Nous avons l'intention d'ajouter aux dispositions prises par le graveur qui sont précieusement tenues secrètes.

1°_ L'adoption de formats différents et l'impression en couleurs différentes,suivant l'importance des coupures.

2°_ L'apposition d'un numéro de série imprimé sur tous les bons.

3°_ L'apposition,à l'aide d'un composteur automatique d'un numéro particulier sur chaque bon.

4°_ Le timbrage qui se fera par l'apposition d'un timbre sec en relief.La partie du billet où le timbre sera apposé variera suivant le montant des bons et pour les bons de même valeur suivant la série à laquelle ils appartiennent.

Les nouvelles coupures présentant toutes garanties,nous allons dès qu'elles seront lancées,donner des ordres à la recette municipale pour conserver dans ses caisses,les bons de l'émission originale dont la fabrication trop hâtive n'a pu être l'objet des mêmes précautions et dont le papier est trop léger pour résister à l'usage.

 

Ville de Douai.

30 Août M.Bertin Maire, s'adresse à son conseil:

J'expose au conseil qu'en l'absence de caisses publiques, la ville ne peut plus se procurer de numéraire.

Pour faciliter les transactions et parer à la pénurie de monnaie métallique,il y a lieu d'émettre des billets communaux remboursables à leur valeur,après la guerre,sur la caisse municipale,ces coupures seraient de 0;50- 1-2-5-10 et 20 francs.

Je soumets au conseil un modèle de ces bons et je le prie de désigner une commission chargée de s'entendre avec l'imprimeur pour que le tirage soit fait dans des conditions absolues de sécurité et pour déterminer les signes qui garantiront la ville contre toute imitation frauduleuse.

Le conseil autorise en outre le Maire à passer avec M.Dutilleux, imprimeur à Douai,un marché pour la fourniture de bons à raison de 6,70 francs le mille.

9 Septembre Mines de l'Escarpelle.

L'ingénieur Directeur,fait une proposition au sujet de l'émission de bons.

La compagnie de l'Escarpelle prendra part à l'émission de bons de la ville de Douai,maximum un million avec la garantie de remboursement pour la première tranche de 500 mille francs "la compagnie fait un dépôt de 500 mille francs,en garantie,à la banque de M.et M. Dupont" Le conseil autorise le Maire à faire droit à la demande de la compagnie,sous réserve de s'assurer par l'examen du dernier bilan que la ville est à l'abri de toute surprise.

 

Cambrai Chambre de commerce.

19 Août Sous la présidence de M.Hélot se tient une réunion avec les Directeurs des banques locales.

M.Hélot demande d'étudier une solution devant la raréfaction de la monnaie divisionnaire de 0,50-1 et 2 francs.Il indique qu'il s'est mis en rapport avec la banque d'émission qui vient de se créer à Lille.Cette banque serait disposée à fournir à la chambre de commerce de Cambrai,selon ses besoins et jusqu'à un montant de 200 mille francs de coupures de son émission,à condition que la chambre participe au prorata de ses prélévements dans les frais de création et de gestion de la banque.

20 Août- La chambre de commerce décide de prendre ferme dans l'émission qui sera faite par la banque d'émission de Lille,un montant de 25 mille francs de coupures.S'il est nécessaire, d'autres prélévements pourront se faire jusqu'à un maximum de 200 mille francs.

Mais le 26 Août la ville de Cambrai est occupée par l"Armée allemande.

 

Valenciennes Chambre de commerce.

Le Président soumet une dernière question à la chambre.Sur certains points du pays,on s'est plaint déjà de la gêne causée par la disparition de la monnaie d'argent,depuis la déclaration de la guerre.

M.Baron dit que dans le commerce local,on n'a pas éprouvé encore cet inconvénient.

M.P.Dupont pense qu'il faut s'attendre à la ressentir,et qu'il n'est pas oiseux de s'en occuper;dès maintenant,ni à la succursale de la Banque de France ni à la Recette des finances,on n'obtient plus de monnaie d'appoint.

Le Président expose que différentes chambres de commerce cherchent à remédier à cette difficulté,sous la suggestion de la note parue dans la presse parisienne.*

"Nous sommes autorisés à dire que la Banque de France est prête à favoriser l'initiative de plusieurs chambres de commerce,qui,contre dépôt d'une somme en billets de banque proposent d'émettre une somme égale de coupures 0,50-1 et 2 francs dans leur région"

M.Fally déclare qu'il vient d'apprendre justement que la Chambre de commerce de Douai est entrée dans cette voie.Elle a décidé la création de monnaie de papier,mais non sans objection d'une assez importante minorité de ses membres,qui ont fait remarquer les risques auxquels l'exposent les contrefaçons possibles des billets.La chambre de Douai a passé outre,du moins les opposants ont-ils obtenu qu'elle ne presse pas la réalisation de son projet.

Le Président estime qu'effectivement la responsabilité d'une telle entreprise et la confection de billets difficiles à imiter dépassent les moyens d'une chambre d'Arrondissement.

Sont bien davantage en position de prendre de semblables mesures,les chambres de Paris et de Lille.Pour ce qui concerne cette dernière,les journaux annoncent qu'elle vient de réaliser la constitution d'une "Banque d'émission de Lille" qui aura pour objet de mettre en circulation des billets de 1 et 2 francs.Quant à la chambre de commerce de Paris,voici la lettre circulaire que le Président a reçu.

Paris  7 Août 1914

Monsieur le Président et cher collègue.

A toutes fins utiles,je crois devoir vous informer que la chambre de Commerce de Paris,réunie hier extraordinairement pour examiner les mesures à prendre en vue de remédier à la rareté du numéraire dans les petits paiements,a voté,en principe la création,par ses soins et sous sa garantie, de petites coupures de 2-1 et 0,50 francs dont l'émission aura lieu incessament,d'accord avec le Gouvernement.

Les coupures seront remises au public en échange de billets de la Banque de France et seront remboursables à tout moment en billets de banque.

Veuillez ...  David Hennet

Le Président fait remarquer que la chambre de Paris semble offrir les billets dont elle prépare l'émission.

M.Fally voit là,pour la chambre de Valenciennes,le moyen le plus simple et le plus pratique de procurer à son Arrondissement les facilités souhaitées,il faut chercher à obtenir de la Chambre de Paris ou mieux encore de la chambre de Lille,une partie des billets qu'elles vont émettre.

Le Président partage cet avis.Il est à prévoir que pour recevoir satisfaction,la Chambre de Valenciennes devra prendre,à sa charge,une partie des frais d'émission,mais elle est à même de le faire et l'on ne pourrait se refuser à une contribution naturelle.

Le Président est chargé de s'informer auprès des Chambres de commerce de Paris et de Lille,avec une certaine prudence,à quelles conditions l'une et l'autre,consentiraient à délivrer à la chambre de Valenciennes,une certaine quantité de papier monnaie.

11 Août - Le Président M.J.Turbot écrit à Paris et à Lille aux Présidents des chambres:

Monsieur le Président.

Vous avez bien voulu par votre lettre du 7 courant,m'informer que la Chambre de commerce de Paris,venait de prendre en principe,la décision de créer,d'accord avec le gouvernement,des papiers monnaie représentant la valeur de 2-1 et 0,50 francs,ces coupures devant être remises au public en échange des billets de la Banque de France et être remboursables en billets de la même banque.

L'initiative de la Chambre de Paris a,sans conteste dans la situation présente,une très grande importance pratique,elle est digne du plus considérable des corps qui représente le commerce français,et nous y applaudissons vivement.

En raison de cette appréciation même,nous avons le naturel désir de savoir et nous en serions reconnaissants de nous faire connaître quelle étendue,la Chambre de Paris compte donner à l'émission projetée,et si l'espoir d'en profiter,pour sa part,est ouvert à la province laborieuse,à certaines conditions peut-être.

En vous remerciant ...  Le Président de la Chambre J.Turbot

Une lettre du même ordre est envoyée au Président de la Chambre de Lille.

13 Août  Réponse du secrétaire de la Chambre de Lille.

Je reçois aujourd'hui votre lettre du 7 courant et je m'empresse d'y répondre.La Chambre de commerce a en effet pris l'initiative d'une banque d'émission qui émettra des billets 2 francs et au-dessous.Elle a été crée sous forme de Société anonyme par acte notarié en date de Samedi,l'approbation ministérielle a été demandée par la Préfecture.La Chambre fait toute diligence afin que cette banque puisse fonctionner le plus tôt possible.

La Chambre s'est inspirée de ce qu'elle avait fait en 1870 et vous trouverez à la page 187 de ses archives (1870_1872) les statuts de la première Société qui ont été adoptés avec queques petites modifications.

Veuillez ... Le secrétaire  V.Clément

21 Août  Séance extraordinaire de la Chambre.Lecture de la lettre reçue,en date du 17, de la Chambre de Paris.

"Diverses Chambres de commerce m'ayant demandé des explications sur les conditions dans lesquelles se fera l'émission organisée par la Chambre de Paris,de petites coupures destinées à remplacer la monnaie divisionnaire,je crois devoir fournir sur ce point les précisions nécessaires.

Le montant de l'émission a été fixée comme suit:

500 mille billets de 2 francs, 5 millions de billets de 1 franc, 8 millions de billets de 50 centimes

Les petites coupures seront émises par les caisses de la Banque de France avec laquelle nous sommes complétement d'accord. Elles pourront circuler même hors de la circonscription de Paris,mais il ne nous a pas paru possible de réserver aux Chambres de commerce,des Départements,une partie de l'émission ou de leur céder des coupures non signées.L'étude qui a été faite de la question nous a montré qu'il vaut mieux que les Chambres de commerce d'une même région,se groupent pour émettre ces coupures dans la mesure et la limite imposées par les besoins particuliers de leurs circonscriptions.

Veuillez ..."

Le 17 Août la Chambre de Lille envoie une réponse plus conforme aux désirs de la Chambre de Valenciennes:

"La banque d'émission de Lille,cnstituée en Société anonyme sous l'initiative,avec le patronage de notre Chambre et avec le concours effectif de tous ses membres,en vue de suppléer par l'émission de bons de 2 francs et au-dessous,à la disette de monnaie divisionnaire,sera en mesure de fonctionner d'ici peu de jours.

Vous êtes,M.le Président,préoccupé de la même difficulté qui trouble si profondément le commerce,et vous avez exprimé le désir de profiter de notre création par l'attribution d'un nombre déterminé de ces bons d'émission.

Notre institution ne poursuivant qu'un but d'intérêt général,ne peut être rebelle à l'éventualité d'étendre les facilités que notre émission est appelée à fournir au public.Mais nous sommes obligés de vous exposer que la réalisation de votre désir soulève des difficultés de deux sortes.

La première résulte de ce que l'émission étant faite au pair,la société se trouvera passible des frais assez importants qu'elle entrainera.Elle est disposée à assumer cette charge,tant qu'il s'agira de soulager les ressortissants de la Chambre de Lille,mais vous serez de notre avis qu'on ne peut raisonnablement lui demander d'étendre ses risques au delà de son rayon.

La seconde difficulté est d'ordre matériel,en effet notre société se trouvera en présence d'une insuffisance de papier convenable pour ce tirage.Un délégué s'est mis en route sur Paris,et au besoin,sur les centres de fabrication,en vue de rechercher et s'assurer les quantités disponibles de papier nécessaire.Selon les indications qui nous sont rapportées,nous vous dirons s'il nous est possible de vous faire profiter de cette émission et dans quelle mesure.

Mais dans tous les cas,vous trouverez,nous n'en doutons pas,M.le Président,naturel et légitime que cette participation devrait donner lieu au remboursement de nos frais,proportionnellement à l'importance de vos prélévements.

Veuillez ... Le Président de la commission de la banque d'émission de Lille Duhem.

P.S. Votre lettre datée du 11 ne nous a touché que le 16 au matin.

Avant d'avoir reçu cette lettre, le Président, vu la lenteur actuelle des transports des correspondances,avait envoyé le 18 à Lille le secrétaire de la chambre pour s'aboucher avec les Administrateurs de la banque d'émission;lui même a eu l'occasion de se rendre au chef-lieu du Département la veille et les a visités,à son tour.Dans ces entrevues,les dits Administrateurs ont confirmé la lettre qui vient d'être lue,ont fait connaître que la difficulté provenant d'une insuffisante quantité de papier spéciale est écartée,et ont donné quelques indications sur les frais probables de l'émission.La dépense parait devoir être assez élevée.Sans être bien fixés sur ce point,les promoteurs de l'entreprise estiment que le millier de billets leur reviendra à une vingtaine de francs.La première commande sera basée sur une proportion de frais de 2% (La banque d'émission compte créer un tiers de billets de 2 francs pour deux tiers de billets de 1 franc.

Le Président, informé qu'une grande usine de l'Arrondissement était désireuse d'avoir un certain nombre de ces billets d'appoint,pour payer ses ouvriers, a délégué le secrétaire de la chambre auprès des principaux Etablissements industriels de la région de Valenciennes pour les mettre au courant du projet.Deux d'entre eux se sont déjà déclarés disposés à se munir de ces billets,en acceptant de prendre à leur charge,une part des frais correspondants,ils ont effectué un premier prélévement de 9.000 francs,et demandent une somme de papier de 50.000 francs pour Septembre.

A l'heure présente, il convient de répondre à une question du Comité d'émission de Lille,qui presse notre chambre de lui indiquer combien il doit réserver de billets.

Les engagements sus-mentionnés permettent,sans risque,d'en accepter,tout d'abord,pour 60.000 francs.Le Président se demande s'il ne conviendrait pas que la Chambre,elle même,prit à sa charge définitive une certaine quantité de billets afin de les répandre dans le commerce de détail.Si elle en faisait une distribution de 25.000 francs,il lui en coûterait 500 francs,somme qui n'excéde pas ses moyens financiers.

La chambre approuve cette proposition et décide d'y donner suite.Sur ces éléments de calcul,elle juge qu'elle peut raisonnablement souscrire,pour le moment,l'engagement de prendre 100.000 francs de billets,sauf à solliciter dans quelques jours,une augmentation de ce chiffre,si la participation de nouveaux industriels se proposent.

Le Président considère que pour faciliter la circulation des billets et pour donner confiance au public,il importe d'avoir le concours des différentes banques locales et d'être assuré qu'elles les admettront dans leurs caisses.

M.Dupont est convaincu que les banques ne s'y refuseront pas,mais il serait bon de leur demander,et de réunir,à cet effet,leurs directeurs.

Le Président se déclare tout disposé à provoquer cette réunion,conformément à l'avis de M.Dupont,qui croit utile de choisir un moment où les directeurs des banques ne sont pas tenus au siège de leurs bureaux,il est convenu que par lettres distribuées le jour même,ils seront priés de venir conférer avec le Président le lendemain 22 Août à une heure du soir.

Le Président dit que peut-être ces banques demanderont pour leur propre compte,un certain nombre de billets d'appoint.

M.Dupont expose que les difficultés financières sont toujours grandes dans l'Arrondissement,et qu'elles persisteront,sans doute,malgré l'atténuation des entraves d'ordre général,à cause de la situation particulière de notre région.C'est ainsi qu'ailleurs on se loue de voir la Banque de France,depuis quelques jours,reprendre un peu plus libéralement l'escompte des effets de commerce,mais les succursales de cet établissement n'admettent toujours que le papier accepté.Il est aujourd'hui fort malaisé,dans nos villes frontières,de se procurer,en temps utile,cette acceptation quand le tiré n'habite pas sur place,les communications postales étant extrêmement retardées.

En vérité il ne serait pas équitable et légitime dans les conjonctures présentes, d'élaborer pour les zones frontières un régime spécial,qui pourrait-être institué grace à une entente entre le Gouvernement et la Banque de France.

M.Fally partage cet avis et pense qu'on est parfaitement fondé à en faire l'objet d'un voeu à l'adresse du Gouvernement,ce voeu devrait appuyer surtout sur l'interêt bienveillant,que méritent les régions frontières industrielles qui,telles que la nôtre,alimentent un nombre considérable d'ouvriers.

14 Août Lettre du Ministre des Finances au Président de la Chambre de Commerce de Paris

Monsieur le Président

Vous avez bien voulu me transmettre, le 7 Août courant,copie de la délibération prise la veille par votre compagnie en vue de remédier,dans la mesure du possible,à la rareté du numéraire.

D'après cette délibération,la chambre de commerce serait autorisée,sous sa responsabilité,et jusqu'à concurrence d'une somme e 10 millions de francs,des bons au porteur d'une valeur de 2- 1 et 50 centimes,chacun de ces bons porterait,outre l'indication de sa valeur,un numéro d'ordre,le timbre de la Chambre de commerce et les signatures de son Président et de son trésorier,les numéros d'ordre devant former une série ininterrompue par catégorie des coupures.

Les bons dont il s'agit seraient mis en circulation en échange des billets de la Banque de France,et les billets ainsi reçus en contrevaleur par la Chambre de commerce seraient déposés à la Banque de France à un compte spécial de réserve destiné à assurer ultérieurement le remboursement des bons.

Les coupures seraient échangées à présentation au siège de la Chambre de commerce contre des billets de la Banque de France.La période de remboursement ne pourrait être inférieure à cinq ans à partir de l'émission des premiers bons.

J'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai pris connaissance,avec le plus vif intérêt,les propositions de votre compagnie.Mais j'estime conformèment à la doctrine suivie en cette matière,que l'émission des bons par les municipalités,Chambres de commerce ou Syndicats ne comporte pas en principe,d'autorisation officielle:ainsi que l'écrivait l'un de mes prédécesseurs en Novembre 1871,si cette mesure toute exceptionnelle trouve sa justification dans les circonstances,son application reste sous la responsabilité des corps ou associations qui en prennent l'initiative.

Je m'empresse d'ajouter,d'accord avec M.le Ministre du Commerce,de l'Industrie,des Postes et des Télégraphes,qu'en présence de l'insuffisance momentanée du numéraire et des inconvénients qui en résultent,tant pour les transactions commerciales que pour le payement des petits traitements,l'initiative prise par la chambre de commerce de Paris,ne peut qu'être approuvée par le Gouvernement.

Le Ministre des Finances Noulens

Cette lettre a été communiquée au Président de la Chambre de commerce de Valenciennes par le Sous-Préfet le 21 Août.

22 Août    Télégramme du Président de la Chambre de Valenciennes à la banque d'émission de Lille:

Prendrons pour moment aux conditions convenues cent mille francs billets.Lettre confirmation suit.Vous prions indiquer télégraphiquement jour de livraison possible Turbot

22 Août    Lettre de M.Turbot à la banque d'émission de Lille;

A la suite de la lettre que vous avez bien voulu m'adresser le 17 Août,et des entrevues qui depuis lors ont eu lieu entre Messieurs les Administrateurs de votre banque d'émission et les délégués de la Chambre de commerce de Valenciennes,j'ai l'honneur de vous confirmer le résultat de nos conversations verbales.

La Chambre de Valenciennes estime absolument équitable et naturel de participer,dans la mesure où elle tirera,directement,utilité de votre initiative,aux frais d'émission des billets mis en circulation par vos soins,et la lettre que j'ai écrite le 11 Août au Président de la Chambre de Lille,le faisait pressentir.

Aussi suis-je autorisé par une délibération formelle de la Chambre de commerce de Valenciennes à prendre en son nom,l'engagement de rembourser à votre banque les frais sus-dit,proportionnellement aux prélévements que vous l'admettrez à faire sur votre émission.Et nous ne vous remercions pas moins de nous accorder à ces conditions votre concours.

Quant à la somme que pour le moment nous vous demanderons de nous réserver en billets,les renseignements que nous avons pu grouper,à l'heure présente,nous la font limiter à 100 mille francs (y compris les 9.000 francs déjà pris).S'il y a lieu pour nous d'augmenter cette somme,nous espérons être à même de vous le faire connaître prochainement.

Je vous serai reconnaissant de m'informer des jours où il nous sera permis d'aller prendre à Lille,par portions successives,sans doute,les billets demandés.

Veuillez ... Signé:Turbot

22 Août   Avis communiqué aux journaux de Valenciennes.

Emissions de billets de 1 et 2 francs:

En différentes régions,s'est fait sentir,depuis le commencement du mois,une regrettable pénurie de monnaie d'argent.On s'est trouvé dans ce cas,notamment,sur quelques points de notre Arrondissement.

Afin d'écarter,au moins cette difficulté,la Chambre de Commerce de Valenciennes s'est abouchée avec la Chambre de Commerce de Lille,qui vient de fonder en cette dernière ville une banque d'émission de billets de un et deux francs et,en s'unissant à quelques grandes sociétés industrielles de sa circonscription ainsi qu'aux banques locales pour contribuer aux frais d'établissement de ces billets,elle a obtenu qu'une quantité assez importante en soit réservée à l'Arrondissement de Valenciennes.

Les billets dont il s'agit seront mis en circulation dès Lundi prochain,ils porteront,avec l'indication de leur valeur,la mention "Banque d'Emission de Valenciennes"Les caisses des banques de Valenciennes les recevront comme la monnaie légale et par l'entremise de ces mêmes banques,ils seront échangeables, à tout moment, contre des billets de 100 francs de la Banque de France (En quantité correspondante à cette valeur,bien entendu)

Ajoutons que les industriels ou négociants qui seraient désireux de se procurer un certain nombre des dits billets d'appoint,peuvent s'adresser aux banques de notre ville ou à la chambre de commerce.

24 Août   Evacuation de la ville de Valenciennes par les fonctionnaires de l'Etat et par les troupes françaises.

25 Août   Occupation de la ville de Valenciennes par les troupes allemandes.

 

Banque de France Succursale de Lille.

Dès le début des hostilités la ville de Lille s'est sentie menacée.Par prudence on décida l'évacuation de l'encaisse métallique.Du 17 au 22 Août on expédia sur Rouen 13,96 millions en écus et 2,8 millions en or.

La situation restant préoccupante on évacua le 23 Août la majeure partie de l'encaisse soit 37,2 millions à Amiens et le solde soit 0,76 million le lendemain à Bethune.L'encaisse de Roubaix arrivée trop tard fut incinérée dans la nuit.

La situation devenant plus calme,les opérations reprirent le 29,pas pour longtemps,le 31 on devait réaliser une nouvelle évacuation.Elle fut fictive dans les écritures et les billets furent cachés dans des paquets de récepissés annulés placés dans les archives.On ne conserva en caisse que la somme de 56 mille francs.

Le 2 Septembre il y eut une première occupation de Lille par les Allemands qui ne dura que trois jours.Un conseiller civil accompagné de deux officiers et de deux interprètes se présenta à la Banque,en disant qu'il était délégué par le Général commandant les étapes et qu'il savait que la Banque était une société privée et que l'armée allemande n'avait aucun droit sur son encaisse.

Après le départ précipité des Allemands,les opérations de la Banque recommencèrent,d'abord avec l'encaisse qui avait été cachée aux archives.Devant les demandes des banques locales et des commerçants on ramena du Mans où il avait été déposé,le portefeuille de la succursalle de Lille ainsi que ceux de Roubaix,Tourcoing et de Valenciennes.Le montant ainsi ramené soit 250 millions causa de grands embarras au Directeur lors de l'occupation des troupes allemandes.

A partir du 4 Octobre,l'étau des troupes allamandes se resserre sur Lille.Le Directeur de la succursalle,par prudence,brule une part importante de l'encaisse soit 24,26 millions et ne conserve que 2,965 millions de billets en les cachant dans un coffre de location.0,15 million d'écus et de monnaie divisionnaire furent jetés dans une fosse d'aisance.L'opération fut simulée dans les livres en simulant un envoi à la succursale de Dunkerque.

On ne conserva en caisse courante que 0,168 million de billets dont 0,008 étaient annulés.

Le 13 Octobre après le bombardement, Lille était occupé pour quatre ans.

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Chapitre II   Zone occupée par les troupes allemandes.

Sommaire nécessité 14-18